LES FRONTIERES ENTRE HOMMES ET FEMMES DANS LE MONDE DE LA COMPTABILITE : UNE REVUE DES RECHERCHES

Claire Dambrin et Caroline Lambert
Centre Européen de Recherche en Finance et Gestion (CREFIGE)
Université Paris IX Dauphine
Place du Maréchal de Lattre de Tassigny
75775 Paris Cedex 16
Tél : 01-44-05-47-84

carolinelambert@yahoo.com
dambrin@cybercable.fr

Résumé

Le thème " femmes et comptabilité " est étudié ici autour de deux aspects : l'évolution de la place de la femme dans la profession comptable et l'image de la femme diffusée par les documents comptables. L'article s'articule autour d'une typologie des théories féministes et des méthodologies utilisées puis d'une analyse thématique des recherches.
Mots clé.- Femmes, comptabilité, féminisme, méthodologie, ségrégation, profession comptable

Abstract

Gender is examined in accounting literature through two major topics : the gendered division of labour in the accountant profession, and women image within corporate annual reports. Our goal for this article is to provide a "theoretical and methodological tutorial" to gain a broaden understanding in this field of research.
Key words.- Women, gender, accounting, accountants, segregation, methodology, feminism

INTRODUCTION

Aborder le thème " femmes et comptabilité " pose le problème des différences entre les hommes et les femmes, de leurs rôles respectifs et des rapports sociaux entre eux (Audusseau-Besson, 2000).

Tout d'abord, on peut noter la très faible présence du thème des femmes dans la littérature comptable. Quasi inexistant dans la littérature comptable française, il n'est apparu que récemment dans la littérature comptable anglo-saxonne (fin des années 80). En revanche, la littérature féministe dans son ensemble est abondante et existe depuis longtemps. On peut dès lors s'interroger sur les raisons de l'absence des femmes dans les problématiques des chercheurs en comptabilité en France.

La réticence des chercheurs français à se pencher sur le thème des femmes et de la comptabilité peut tenir à l'imbrication fréquente entre travaux de recherche et travaux purement féministes. Dans les pays anglo-saxons où le contexte historique, social, culturel et politique est différent, cette imbrication semble poser moins de problèmes. Les résultats de nombreuses recherches sont d'ailleurs repris par le discours féministe.

Dans un premier temps, une présentation des problématiques féministes et des techniques de recherche adoptées favorisera la compréhension des articles étudiés. Dans un second temps, une analyse des thématiques récurrentes sera proposée. Nous mettrons en avant les sujets suivants : les discriminations subies par les femmes dans la profession comptable, les femmes à travers le prisme de la comptabilité, le thème " culture et sexisme ". En dernier lieu, la dimension politique du thème de la place de la femme nous amènera à discuter des rôles du chercheur.

1. PROBLEMATIQUES FEMINISTES ET TECHNIQUES DE RECHERCHE

Deux grandes classifications des problématiques féministes ont été identifiées ; l'une se réfère aux travaux féministes classiques, l'autre s'appuie sur les postulats de la comptabilité. Après avoir présenté ces problématiques, nous verrons comment le choix d'une technique de recherche peut traduire un positionnement théorique.

    1. Une classification traditionnelle des problématiques féministes

Nous avons identifié trois problématiques féministes principales qui s'opposent tout en étant liées les unes aux autres. Ces problématiques sont en général présentées dans des revues de la littérature (cf. annexe 1).

      1. Présentation générale

Lehman (1992) propose une typologie qui s'appuie sur trois problématiques féministes. A partir des analyses sur leur positionnement respectif, nous complétons cette typologie en l'envisageant à travers les critères suivants : origine des inégalités, type de vision, différences et points communs.

 

Origine des inégalités

Vision

Ce qui différencie les problématiques

Ce qui les rapproche

Féminisme individualiste-libéral

Rupture dans l'idéal démocratique

politique

Les changements nécessaires pour stopper la soumission des femmes permettraient l'avènement d'idéaux libéraux.

Les trois approches reconnaissent l'impact des crises économiques, des média, de l'enseignement, de la famille et des expériences professionnelles sur les attentes des hommes et des femmes en terme de rôles et d'interactions.

Les féminismes socialiste et radical ambitionnent tous deux bien plus de changements idéologiques et structurels que le féminisme libéral.

Féminisme marxiste (socialiste, capitaliste)

Système économique capitaliste fondé sur un accès inégal aux richesses

économique

La classe prime sur le sexe (les femmes des classes élevées dominent les hommes et les femmes des classes plus basses, lesquels ont des intérêts communs)

Féminisme patriarcal (radical)

Cause économique + institutionnalisation de la domination masculine à travers un système de pensée patriarcale

idéologique et sociale (en terme de rôles par ex.)

Le sexe prime sur la classe (les femmes sont toujours dominées par les hommes dans une catégorie sociale donnée)

Tableau 1. Typologie générale des problématiques féministes

Gallhofer (1998) rappelle que la plupart des recherches sur la place des femmes dans la profession comptable s'inscrivent dans une perspective féministe libérale, s'apparentant à ce qu'Audusseau-Besson (2000) appelle l'approche différentialiste ou identitaire. Selon cette perspective, il existe des valeurs spécifiques masculines et féminines et il faut valoriser chacune d'elles. Des comportements typiquement féminins, des styles de management féminins existent donc mais sont étouffés par une prééminence du " masculin ".

Egalement qualifié de capitaliste ou socialiste, le courant marxiste féministe considère l'exploitation des femmes comme une sous-catégorie de l'aliénation capitaliste (Tinker et Neimark, 1987). La fin du capitalisme, en supprimant toute aliénation, mènera à l'émancipation des femmes ainsi qu'à l'égalité hommes / femmes.

Les travaux de Delphy (1976) donnent un aperçu du courant patriarcal (in Tinker et Neimark, 1987). Le courant patriarcal dans son acception la plus modérée peut être associé à l'approche égalitaire décrite par Audusseau-Besson (2000). Selon ce courant, les femmes constituent une classe séparée, elles sont unies par l'oppression qu'elles subissent de la part des hommes, et ceci, quelle que soit l'appartenance sociale de leur mari. Dans cette perspective, la structure patriarcale primerait donc sur le capital. Les défenseurs de cette thèse ne nient pas l'asymétrie biologique mais s'appuient sur l'idée que les différences entre les sexes et les inégalités professionnelles sont le résultat d'une construction sociale, culturelle et historique.

    1. Positionnement respectif des trois approches

Les trois problématiques sont parfois utilisées de manière complémentaire mais apparaissent le plus souvent en conflit. Dans ce dernier cas, les auteurs cherchent à démontrer la suprématie d'une problématique sur une autre. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur les relations entre patriarcat et marxisme féministe, puis nous analyserons le positionnement de la problématique libérale.

Roberts et Coutts (1992) se situent dans une approche "dual segmented" (théorie de la segmentation) selon laquelle marxisme et patriarcat se renforcent l'un l'autre. Ils rappellent que le capital peut avoir un intérêt à définir certains emplois comme peu qualifiés, soit pour y maintenir des salaires bas, soit pour affaiblir les résistances potentielles en y confinant des groupes marginaux (ex : les femmes). Les intérêts du capital recoupent ceux des hommes qui cherchent à conserver un statut supérieur à celui des femmes. Dans cette optique, le capitalisme et les structures patriarcales se renforcent mutuellement, œuvrant tous deux à la subordination des femmes. Humphries (in Tinker et Neimark, 1987) souligne l'incapacité de la théorie de la segmentation à distinguer l'intérêt général du capital de l'intérêt de capitalistes particuliers (employeur individuel). Dans l'intérêt général du capital, il existe un avantage à long-terme à maintenir une idéologie de travaux "réservés aux hommes", afin de préserver une armée de réserve industrielle féminine susceptible de freiner un dérapage des salaires. Dans ce cas, la théorie de la segmentation est valide. En revanche, les employeurs individuels, privilégient l'avantage à court-terme qui consiste à substituer au travail masculin relativement cher, un travail féminin bon marché. Dès lors, structures patriarcales et explication marxiste sont en conflit.

French et Meredith (in Roberts et Coutts, 1992) font également valoir la suprématie de l'explication marxiste sur l'explication patriarcale. Le facteur capital prime sur le facteur structures patriarcales dans la détermination de la place des femmes car il impose une adaptation de ces structures aux conditions économiques. Lorsqu'une profession se développe et que le capital exige une main d'œuvre plus grande, alors, le besoin de main d'œuvre sera "prioritaire" sur les fondements sociaux. Ce besoin permettra à des groupes subordonnés (tel celui des femmes) de rejoindre des professions jusqu'alors fermées et de gagner en poids politique et juridique. Tinker et Neimark (1987) mettent, eux aussi, en avant la primauté du marxisme sur le patriarcat. Seule l'aliénation capitaliste permet de comprendre des manifestations de solidarité entre hommes et femmes travailleurs dans le cadre syndical notamment.

Toujours dans l'optique de mise en avant des conflits entre les deux théories, Roberts et Coutts (1992) citent Crompton selon laquelle l'exclusion des femmes n'est pas rationnelle pour le capitalisme. En effet, les femmes ont acquis des qualifications coûteuses et détiennent donc des ressources intellectuelles de valeur. Mais si cette exclusion n'est pas rationnelle pour le capitalisme, elle l'est au regard du patriarcat (exclure les femmes des hautes positions professionnelles équivaut à maintenir un statut masculin privilégié). Face à ce conflit, deux issues sont alors possibles. Les professions perçoivent la menace pour leur statut représentée par l'arrivée des femmes. Donc, soit les hommes luttent pour maintenir leurs privilèges et rejettent l'arrivée des femmes (suprématie de l'explication patriarcale), soit ils acceptent l'entrée des femmes et luttent pour maintenir le statut de tous les professionnels, femmes incluses (suprématie de l'explication marxiste). Toutefois, même dans le cadre d'une acceptation des femmes dans une profession, Roberts et Coutts (1992) observent l'existence d'une ségrégation verticale à l'encontre des femmes. Celle-ci est l'expression d'un maintien des structures patriarcales.

La problématique féministe libérale est à la fois critiquée par les tenants des approches patriarcales et marxistes. Roberts et Coutts (1992) mettent en lumière les lacunes de l'hypothèse de Mincer sur la liberté d'action des agents. Les femmes, dans cette hypothèse, semblent totalement libres de leurs choix professionnels. Or, il existe des structures sociales de pouvoir : la famille patriarcale a un impact sur les rôles privés et professionnels des femmes.

Gallhofer (1998), dont le point de vue est marqué par les théories féministes marxistes, résume de façon assez complète l'ensemble des critiques faites à l'approche libérale.

La critique majeure des féministes marxistes concerne la tendance libérale à l'universalisme théorique. Les femmes qui sont au centre des recherches féministes libérales font toutes partie de ce qu'on appelle la classe moyenne, occupant un poste dans le domaine comptable ou aspirant à en occuper un. La problématique libérale ignore les problèmes rencontrés par les femmes des classes socio-économiques inférieures ou les confond avec ceux des femmes des classes moyennes. Elle omet ainsi les problèmes de classes, de races et de cultures. En simplifiant la réalité, l'approche libérale tend au conservatisme.

  1. Une classification alternative à partir des postulats de la comptabilité
    1. Présentation générale

La typologie proposée par Hammond et Oakes (1992), en utilisant le cadre conceptuel de Harding, peut être considérée comme une typologie alternative dans laquelle les courants féministes sont classés en fonction de leur remise en cause des postulats fondateurs de la comptabilité. Trois problématiques féministes y sont distinguées : empirique, postmoderne et du point de vue.

 

Origines des inégalités

Vision

Ce qui différencie les théories

Ce qui les rapproche

Féminisme empirique

(FE)

Exclusion des femmes de certaines professions

Mécaniste

(quand les femmes seront en nombre égal aux hommes dans les professions, il n'y aura plus de discrimination)

Pas de remise en cause fondamentale des structures ni des méthodes utilisées dans le monde des hommes

Le FE et le FPV peuvent être exploités dans une perspective politique. Le FP est éminemment théorique.

Le FP et le FPV remettent en cause les postulats fondamentaux de la comptabilité.

Féminisme postmoderne

(FP)

Le langage

Constructiviste

(les relations hommes femmes se construisent dans et par le langage)

Elitisme et absence de portée politique (accent sur les individualités plus que sur les points communs entre les femmes)

Féminisme du point de vue

(FPV)

Théorie hégélienne du maître et de l'esclave

Théorique + politique (identification des causes structurelles de discrimination et volonté politique d'y remédier)

Contrairement au FP, existence d'un point de vue privilégié (celui des femmes)

Tableau 2. Typologie des théories féministes au regard des postulats de la comptabilité

Le féminisme empirique (Feminist Empiricism) se fonde avant tout sur l'étude de l'impact de la présence des femmes sur l'évolution des professions. Il peut être rapproché du courant féministe libéral.

Le féminisme postmoderne (Feminist Postmodernism) s'attaque aux postulats fondamentaux de la comptabilité : l'objectivité, la généralisation et la rationalité. Cette approche met l'accent sur les différences entre les individus et remet en cause l'essentialisme qui consiste à dire que ce que les femmes ont en commun est plus important que ce qui les différencie. Par ailleurs, elle souligne l'importance du langage dans la construction des relations de pouvoir. Il n'existe pas de vérité mais seulement la version du plus fort (c'est celle de l'homme). Ainsi, ce courant recoupe le post-structuralisme, lequel s'intéresse à révéler les façons dont le langage constitue, construit la réalité sociale plutôt qu'il ne la reflète. Les relations hommes-femmes (gender) ne sont donc pas biologiquement déterminées mais socialement construites. La fin de la domination masculine ne peut être atteinte que grâce à la subversion du moyen par lequel le sens est créé : le langage.

Le féminisme du point de vue (Standpoint Feminism) s'attaque, comme le féminisme postmoderne, aux postulats fondamentaux de la comptabilité: l'objectivité, la neutralité. Les postulats de ce courant sont ceux de la théorie hégélienne du maître et de l'esclave. La femme (esclave), parce qu'elle est opprimée, a un point de vue privilégié par rapport à l'homme, c'est-à-dire plus fidèle à la réalité. Elle n'a en effet pas d'intérêt à la distordre.

Dans la classification des problématiques féministes traditionnelles (marxiste, patriarcale et libérale), les oppositions portaient sur la suprématie d'une problématique sur les autres pour expliquer les différences observées entre hommes et femmes. Dans la classification alternative (féminismes empirique, postmoderne et du point de vue), c'est la possibilité d'utiliser l'une ou l'autre des problématiques comme arme politique qui semble au cœur des oppositions.

    1. Positionnement respectif des trois approches

Le féminisme empirique, comme l'approche libérale, subit de fortes critiques de la part des autres courants. Les féministes empiriques ne semblent pas vouloir remettre en cause les structures ni les méthodes utilisées dans un monde dominé par les hommes, et paraissent juste réclamer une place à leur côté. Or, l'augmentation du nombre de femmes dans une profession ne change pas obligatoirement la culture de la profession (Hammond et Oakes (1992) prennent l'exemple de Margaret Thatcher au sein du monde politique).

Hammond et Oakes (1992) formulent diverses critiques à l'encontre du féminisme postmoderne. Les théoriciens postmodernes montrent que l'oppression existe tout en avançant qu'elle est totalement construite (par le langage notamment). La seule proposition émise par le postmodernisme consiste à déconstruire le monde façonné par le langage des hommes sans imaginer d'autres solutions. Ce relativisme entraîne une incertitude constante quant à l'existence réelle de l'oppression. En soulignant les différences entre les femmes (remise en cause de l'essentialisme), il peut entraver la formation d'une coalition nécessaire à l'action politique. Il privilégie la théorie aux dépens de cette action, ce qui apparaît antithétique avec les objectifs du féminisme. En somme, le féminisme postmoderne offre un faible potentiel d'émancipation pour les femmes. Selon Hammond et Oakes (1992), c'est un discours de l'élite intellectuelle qui ne laisse pas la parole aux femmes.

Par rapport à l'approche postmoderne, le féminisme du point de vue soutient que les femmes ont un regard privilégié sur la réalité qui peut être utilisé dans l'action politique afin de faire naître des changements. Par exemple, plutôt que de mettre l'actionnaire au centre de l'entreprise, le point de vue féminin de la comptabilité défendrait les intérêts des groupes minoritaires (employés, citoyens, etc.). Dans cette approche, les intérêts pour la théorisation sont moindres que ceux pour la lutte politique. Toutefois, l'efficacité politique nécessite une vision simplifiée de la réalité. Ainsi, l'approche du féminisme du point de vue fait des femmes une catégorie unifiée en considérant leurs différences comme moins importantes que leurs points communs : toutes ont des enfants, etc. De plus, elle simplifie exagérément les relations patriarcales. Les hommes et les femmes sont purement rationnels et prévisibles. Les féministes du point de vue sont donc incapables d'expliquer comment les femmes peuvent devenir complices de leur propre oppression.

  1. Synthèse sur les problématiques féministes

Par rapport aux deux typologies proposées précédemment, on peut souligner le positionnement de Thane (1992). Selon lui, aucune théorie féministe prise individuellement n'est satisfaisante pour expliquer les changements historiques. La tendance actuelle [en 1992] consiste à analyser les divisions hommes / femmes en terme de sexe et de classe, de pouvoir "patriarcal" et de matérialisme. On utilise donc le double prisme du féminisme marxiste et du féminisme patriarcal. Outre cette tendance à synthétiser les théories, Thane remarque un apport salutaire du poststructuralisme qui met l'accent sur le fait que ni "les femmes", ni "les hommes" ne forment des groupes unitaires (les expériences et actions de chaque individu ne sont pas déterminées uniquement par leur sexe). Ce n'est donc pas à travers une seule théorie mais en combinant les apports de plusieurs que l'on peut mieux comprendre les stratégies d'exclusion conscientes ou implicites à l'encontre des femmes, et peut être ainsi, stimuler le changement.

  1. Les techniques de recherche

L'essentiel des réflexions portant sur les choix méthodologiques est formulé par les postmodernes. Selon eux, un choix méthodologique exprime inévitablement un rattachement à une problématique féministe.

Après une présentation générale des techniques utilisées, nous verrons que les méthodologies de caractère quantitatif (par exemple, les enquêtes par questionnaires) s'exposent en général à des critiques particulièrement virulentes émanant des chercheurs postmodernes (Hammond versus Mynatt et al., Ciancanelli et Hooks versus Bernardi). Ces techniques se veulent objectives, projet totalement illusoire à leurs yeux. Derrière une démarche dite scientifique, elles dissimulent un positionnement libéral.

La recherche d'autres techniques devient ainsi pour les postmodernes un cheval de bataille. Par exemple, le traitement du thème des femmes dans la profession comptable grâce à la technique du récit de vie permet à Hammond de se rapprocher d'une réalité qu'elle juge plus juste. Nous nous pencherons sur ces techniques alternatives en troisième partie.

    1. Présentation générale des techniques

Enquêtes

Barker et Monks (1998), Bernardi (1998), Mynatt et al. (1997), Hull et Umansky (1997), Trapp et al. (1989)

Récits de vie

Hammond trad. Pesqueux (1998), Spruill et Wootton (1995)

Analyse de documents

Pillsbury et al. (1989), Lehman (1992), Thane (1992), Tinker et Neimark (1987), Adams et Harte (1998), Burrell (1987)

Tableau 3 : Récapitulatif des techniques de recherche

Un détail des dispositifs de recherche mis en œuvre dans les articles étudiés est proposé en annexe 2.

    1. Les critiques des enquêtes

Mynatt et al. (1997) étudient les liens entre le profil d'un individu (origine ethnique, sexe, personnalité...) et sa satisfaction au travail. Hammond (1997) critique les faiblesses méthodologiques de cette enquête. Elle aurait préconisé une approche qualitative de la sous-représentation des femmes ou des hispaniques dans l'entreprise, avec une perspective historique et un recours à des entretiens. Le dispositif méthodologique choisi se révèle donc inadéquat à la complexité de l'objet de recherche. Plus encore que les choix méthodologiques, Hammond remet en cause la façon même d'aborder le thème des femmes dans l'entreprise. Alors que Mynatt et al. tentent d'expliquer le turnover par l'insatisfaction au travail, Hammond aurait traité le sujet sous l'angle de l'inadaptation du travail à la vie des femmes.

Selon Hooks (1998), l'enquête de Bernardi (1998) produit des résultats à la hauteur de l'outil utilisé (questionnaire aux critères limités) et de l'échantillon (débutants dans leur profession). Bernardi demande à des personnes débutantes d'estimer leur choix futurs de vie et carrière. Parmi les résultats obtenus, 40 % des femmes ayant répondu au questionnaire ont l'intention de prendre des congés parentaux de longue durée (7 à 8 ans) à la naissance de leur premier enfant avant de reprendre un travail à temps plein. Or, Hooks mentionne une étude de l'AICPA sur plus de 1700 cabinets d'experts-comptables selon laquelle 89 % des femmes ont repris le travail (au moins à mi-temps) après avoir eu un enfant. Pour lui, l'observation des actions, et non des perceptions, fournit une base de prédiction plus fiable.

Une enquête de perception comme celle de Bernardi risque de devenir une prédiction qui s'auto-réalise. En prenant en compte les résultats d'une telle enquête, les professionnels de la comptabilité risquent de favoriser le turnover féminin qu'ils déplorent.

    1. Des choix méthodologiques au service d'une approche féministe

Pour les postmodernes, la position épistémologique correspondant aux méthodologies quantitatives apparaît incompatible avec le caractère politique des recherches sur la place de la femme. C'est pourquoi ils se dirigent vers des techniques alternatives comme le récit de vie. La position prise est celle de la non-vocation à la généralisation ou à la représentativité des informations. Cependant, la généralisation n'est pas niée, le récit de vie vise en effet à établir des liens entre les théories "micro et macro". La richesse des données offre une "vue de l'intérieur et non pas l'illusion d'une fresque exhaustive"(Hammond, 1998). Les différences entre les expériences individuelles révélées par les récits remettent en cause les prétentions des théoriciens du déterminisme général qui considèrent les femmes comme une entité globale.

La partialité est ici inhérente au travail de recherche. Le fait de transcrire des interviews et de les sortir de leur contexte d'origine rend tout effort d'objectivité vain. Par conséquent, un des risques du récit de vie réside dans une analyse biaisée qui peut être issue de l'accent mis par les chercheurs sur les informations qui vont dans le sens de leurs hypothèses.

Tinker et Neimark (1987) et Adams et Harte (1998) traitent de l'exploitation féminine à travers l'analyse des rapports annuels. Comme chez Hammond, leur choix méthodologique peut s'expliquer au regard du champ théorique dans lequel ils se situent. Tinker et Neimark se réfèrent au champ de littérature de l'Economie Politique de la Comptabilité (Political Economy of Accounting ou P.E.A) dont le but est d'explorer et de mettre à jour l'utilisation de l'information comptable par les différents acteurs sociaux afin de négocier, supprimer et transformer les conflits sociaux.

Pour Adams et Harte (1998), les rapports annuels sont des documents historiques valables pour mettre en lumière les attitudes face à l'emploi des femmes. Cependant, ils doivent être examinés tant à la lumière de ce qu'ils soulignent qu'à la lumière de ce qu'ils omettent (approche postmoderniste). Seuls, les rapports annuels apportent peu, mais par l'utilisation d'un cadre conceptuel permettant d'identifier ce qui manque, ils apportent un support aux théories, en l'occurrence, à la théorie qui analyse l'emploi des femmes en terme de pouvoirs capitalistes et patriarcaux.

La première partie de cette revue des recherches sur la place des femmes dans la profession comptable s'est attachée à offrir un panorama synthétique des problématiques féministes et des techniques de recherche adoptées. Problématiques et techniques de recherche se sont avérées fortement imbriquées du fait de la dimension politique du thème.

Forts de ce premier filtre d'analyse, nous allons pouvoir examiner de façon plus pertinente les thématiques suivantes : les discriminations subies par les femmes dans la profession comptable, les femmes à travers le prisme de la comptabilité, le thème " culture et sexisme ". Le choix des sujets abordés est inévitablement partial. C'est une des raisons pour laquelle nous nous interrogerons sur les rôles du chercheur confronté à une question telle que celle de la place de la femme.

2. ANALYSE THEMATIQUE

  1. Les discriminations subies par les femmes dans la profession comptable

Crompton (1987) rappelle que les professions ont été dans une grande mesure un lieu de ségrégation horizontale et verticale pour les femmes.

Il y a ségrégation horizontale lorsque les femmes réalisent des tâches que ne font pas les hommes (soins infirmiers, nettoyage,...) et qu'on leur interdit l'accès aux professions dites masculines. La ségrégation verticale correspond à l'occupation, par les femmes, de postes de responsabilité inférieure (dans l'enseignement, les professeurs titulaires sont souvent des hommes et les secrétaires, des femmes). Cette constatation amène Crompton à penser que le statut professionnel est systématiquement compromis par des caractéristiques individuelles (sexe ou ethnie), ce qui remet en question l'importance réelle de la connaissance et des savoir-faire.

Le courant de la segmentation du marché superpose les deux types de ségrégation. Ce courant, tel qu'il est décrit dans l'article de Tinker et Neimark (1987) présente la division du travail entre les sexes comme une division entre les emplois bien rémunérés, sûrs, et à durée indéterminée (dans des entreprises oligopolistiques), occupés par les hommes, et les emplois peu rémunérés, à durée déterminée et à fort turnover (généralement dans les secteurs très concurrentiels) et occupés par les femmes. Les auteurs présentent par ailleurs des liens clairs entre les activités domestiques des femmes, et les types d'emplois qui leur sont proposés (nettoyage, cuisine, professorat...).

La limite entre la ségrégation horizontale et la ségrégation verticale est ténue.

Schéma 3 : Articulation des deux ségrégations

    1. Ségrégation horizontale

" Semi-professions " féminines et professions masculines

Roberts et Coutts (1992) et Crompton (1987) soulignent que les hommes et les femmes travaillent en général dans des professions différentes. Roberts et Coutts (1992) montrent que le statut des femmes sur le marché du travail reflète leur statut dans la société en général. Elles sont cantonnées à occuper des professions qui correspondent à leurs rôles "domestiques" traditionnels : nourrir, prendre soin, enseigner , etc. Crompton (1987) définit une profession comme une activité dont les droits sont basés sur un corps codifié de connaissances théoriques, régulé par un corps professionnel qui régit aussi les comportements des praticiens.

Les femmes sont concentrées sur des carrières sociales et médicales qualifiées de "semi-professions". Ces professions requièrent moins de formation et offrent moins d'autonomie, elles sont supposées faire appel à des qualités typiquement féminines (patience, etc.). Les "semi-professions" ont un statut inférieur aux professions "complètes". La prédominance des femmes dans ces "semi-professions" n'est pas la conséquence de leur statut inférieur mais en est la cause : c'est la composition hommes / femmes des professions qui influence leurs statuts respectifs. Un exemple de cette influence : la régression du statut des emplois de secrétariat au fur et à mesure de leur féminisation.

Spécificités de la profession comptable. Du rejet des femmes ...

Lehman (1992) développe une approche historique de la ségrégation horizontale en mettant l'accent sur la non-acceptation des femmes anglo-saxonnes dans la profession comptable. Elle rappelle que les années 1870 à 1900 ont vu l'émergence d'un groupe professionnel puissant de comptables  en Grande-Bretagne. La fin de la période victorienne a été marquée par une culture bourgeoise qui mettait l'accent sur la respectabilité des gentlemen. Les femmes n'ont pas réussi à intégrer l'ensemble professionnel qui s'est alors développé.

En 1911, deux associations débattent d'une motion sur l'admission des femmes dans les professions du droit et de la comptabilité. La motion est rejetée sur les arguments suivants :

L'entrée des femmes des classes plus basses entraînerait une dévalorisation de la profession à travers une concurrence accrue avec les hommes et donc une baisse de salaire générale.

Burrell (1987) soutient que le développement de la comptabilité et la désexualisation des activités ont été de pair et attribue aux comptables un rôle particulier dans ce processus.

En faisant référence aux travaux de Michel Foucault, il montre que le mode disciplinaire de domination s'est étendu aux organisations. Un des aspects essentiels du mode disciplinaire est le phénomène de normalisation qui y est rattaché. La sexualité est un élément clé de l'utilisation du pouvoir dans ce mode disciplinaire de domination. A partir des analyses de Foucault, Burrell propose une vision originale du comptable. Les comptables apparaissent comme des juges et des régulateurs de normalité. La comptabilité peut être perçue comme une technologie du pouvoir. Et en tant que "comptables-juges" de la normalité, les professionnels de la comptabilité sont supposés supprimer et réprimander tout intérêt sexuel dans leur vie professionnelle. Ils doivent montrer l'exemple et le moyen le plus sûr d'annihiler tout intérêt sexuel est de faire de la comptabilité une profession exclusivement masculine.

... à la création d'une " semi-profession " : histoires de ségrégations horizontales

En reprenant la notion de "semi-profession", Crompton (1987) qualifie la profession d'expert-comptable de "complète". En Grande-Bretagne, par exemple, cette profession est bien identifiée avec une reconnaissance légale et un corps de métier parfaitement défini. Elle est synonyme de réussite sociale et bien rémunérée. Cependant, on peut avoir quelques doutes quant à l'identité de ceux qui font le travail routinier (les femmes, très présentes dans les postes d'aides-comptables (clerks) réalisent le plus gros du travail d'audit). Bien que les qualifications obtenues par les experts ne soient pas nécessaires pour la réalisation des audits, la pression reste considérable quant à l'obtention du titre. En réalité, cette pression s'inscrit dans la poursuite d'une stratégie d'exclusion des femmes (Parkin, in Crompton, 1987).

Loft (1992) souligne qu'on s'est souvent limité à l'étude des femmes experts-comptables. Il existe un phénomène très intéressant mais malheureusement assez inexploité : la féminisation de la comptabilité s'est faite par les niveaux inférieurs de qualification. A la ségrégation horizontale évoquée auparavant s'ajoute un phénomène de ségrégation verticale, une fois que les femmes ont intégré la profession. On observe peu de femmes aux niveaux hiérarchiques les plus hauts dans les cabinets d'audit et une extrême féminisation des professions comptables de base. Roberts et Coutts (1992) illustrent ce phénomène avec l'exemple de la Grande-Bretagne. Ils rappellent comment les femmes furent très rapidement assignées aux tâches comptables les plus bureaucratiques. On faisait très nettement la distinction entre le comptable (accountant), presque exclusivement masculin, et le simple teneur de livres (bookkeeper). Ce type de ségrégation dépend fortement des qualifications acquises par les femmes.

    1. Ségrégation verticale

La ségrégation verticale est un phénomène ancien comme le rappelle Lehman (1992). Bien que l'intégration de femmes dans la profession comptable commence dès le début du XXème siècle aux Etats-Unis, Lehman rappelle que les barrières contre les femmes se perpétuent en interne. Dans les années 20, les femmes qui intègrent un cabinet sont la plupart du temps assistantes, elles tiennent les comptes mais ne sont pas experts-comptables. On ne discute plus de leurs compétences mais plutôt de leur capacité à supporter les conditions de travail relatives à la profession (nombreux voyages, horaires de travail tardifs, etc.). Par ailleurs, les clients seraient contre l'idée qu'une femme puisse se consacrer à autre chose qu'à son foyer. Beaucoup de femmes tentent leur insertion dans le domaine en débutant comme assistantes. Mais elles ne bénéficient généralement d'aucune promotion par la suite. Plus tard, plusieurs études des années 60 identifient une discrimination aux dépens des femmes en terme de salaire. En 1979, aux Etats-Unis, 34 % des comptables certifiés et auditeurs sont des femmes, mais leur rémunération est inférieure de 40 % à celle des hommes dans la profession. Les femmes sont donc de plus en plus employées, néanmoins, la discrimination à leur encontre se déplace vers le terrain de la promotion. Dans les années 80, le nombre de femmes occupant des fonctions comptables augmente mais l'inégalité sur le plan de la promotion demeure (peu de femmes atteignent le grade d'associé dans les cabinets). Le turnover des femmes, semblable à celui des hommes durant la première année d'activité, devient le double de celui des hommes à la troisième année d'activité. Lehman (1992) note que les femmes quittent leur fonction car elles en sont insatisfaites et non pour des raisons personnelles du type mariage.

Lehman (1992) identifie plusieurs exemples de pratiques discriminatoires à travers des choix de management. Parmi ces choix : l'affectation à un premier poste, les opportunités de formation, la différenciation des salaires. Ces pratiques de discrimination et d'exclusion à l'encontre des femmes sont si profondément ancrées dans les mentalités qu'elles semblent naturelles. Elles sont comme institutionnalisées. Loft (1992) ajoute par ailleurs que la vision de la femme dans les revues professionnelles depuis la fin des années 80 conduit à un risque de ghettoïsation : les femmes constitueraient une "sous-profession d'expert-comptable".

Le glass ceiling (plafond de verre)

En 1986, deux journalistes du Wall Street Journal utilisent l'expression "glass ceiling" pour désigner les barrières excluant les femmes des niveaux hiérarchiques les plus élevés dans la plupart des organisations. Cette expression est désormais consacrée pour décrire le phénomène de ségrégation verticale dans les professions. (Hull et Umansky, 1997). Pour Crompton (1987), le glass ceiling peut constituer l'explication principale des différences salariales entre les hommes et les femmes.

L'explication du glass ceiling est socio-culturelle : les différences de carrières ne proviennent pas de discriminations particulières à l'encontre des femmes.

Hull et Umansky (1997) présentent l'explication que les dirigeants des cabinets comptables donnent du glass ceiling. Selon eux, le faible nombre d'associées femmes ne vient pas d'une discrimination mais du phénomène de "pipeline" : beaucoup de femmes ont débuté récemment leur carrière dans la comptabilité libérale. Leur carrière n'est pas encore assez longue pour qu'elles aient pu se hisser au sommet. Les deux auteurs s'accordent sur le fait que le "pipeline" est une explication non valide.

Parmi les résultats obtenus à l'issue de son enquête, Bernardi (1998) commente en particulier le suivant : 40 % des femmes ayant répondu au questionnaire ont l'intention de prendre des congés parentaux de longue durée (7 à 8 ans) à la naissance de leur premier enfant avant de reprendre un travail à temps plein. Elles font partie des personnes dont le choix de vie est centré sur la famille. Non seulement ces femmes sont réticentes à l'idée de revenir à leur carrière comptable, mais, quand bien même elles le souhaiteraient, la longueur de leur absence les rend déconnectées de leur profession. D'autre part, par anticipation, elles investissent moins dans leur formation et n'acquièrent donc pas les qualifications requises pour suivre une carrière linéaire (Mincer et Polacheck, in Roberts et Coutts, 1992). Par conséquent, les employeurs sont réticents à investir en temps et en argent pour former une main d'œuvre féminine qu'ils considèrent instable. L'enquête de Bernardi suscite de nombreuses critiques. Ciancanelli (1998) soutient que la recherche empirique sur les femmes et leurs carrières doit distinguer les préférences subjectives de choix de vie et les préférences socialement construites. A partir d'opinions qui convergent vers un thème commun, infère-t-on que le thème naît de valeurs communes ou qu'il provient d'un vécu commun ? Par exemple, si les femmes préfèrent s'arrêter de travailler à la naissance d'un deuxième enfant, est-ce pour se consacrer à l'éducation des enfants (valeur) ou en raison de contraintes financières nouvelles, de la pression de l'entreprise, etc. (vécu) ? Bernardi ne fait pas cette distinction. Les défauts de son étude sont liés essentiellement à un manque de recherches théoriques dans le champ de la division hommes / femmes et aux limites qu'impose le concept de "préférences de style de vie".

Barker et Monks (1998) présentent les résultats d'une recherche sur la progression de carrière des hommes et des femmes experts-comptables en République d'Irlande. Leurs résultats indiquent que les femmes rencontrent des obstacles non vécus par leurs pairs, et que leur progression de carrière se fait fréquemment aux dépens de leur vie personnelle. Cependant ils n'estiment pas qu'il s'agit de discriminations mais considèrent plutôt ces obstacles comme le résultat d'un contexte socio-culturel.

Pillsbury et al. (1989) concluent également de leurs travaux que le fort turnover des femmes dans la profession comptable ne s'explique pas par des pratiques discriminatoires à leur encontre. Les hommes et les femmes quittent la profession pour des raisons similaires (trop d'heures, manque de responsabilités futures, meilleures opportunités professionnelles ailleurs). Pillsbury et al. (1989) rapportent cependant des exemples de discrimination. Parmi les pratiques les plus citées : intolérance des clients et des supérieurs, rémunération inférieure, harcèlement sexuel, secteurs "réservés" aux femmes, etc.

Des explications alternatives de la ségrégation verticale sont proposées : une barrière réside dans l'ambiguïté véhiculée par les stéréotypes.

Selon Crompton (1987) et Hull et Umansky (1997), ce sont les stéréotypes associés à chacun des sexes qui expliquent le glass ceiling. Les hommes et les managers doivent faire preuve d'une tendance à la domination, les femmes d'une tendance à la soumission, à l'affectif, au nourricier. Les traits masculins sont plus valorisés, particulièrement quand il s'agit de décrire le bon manager. Les femmes sont dès lors confrontées à un dilemme. Si elles se conforment aux stéréotypes féminins, on leur reprochera de manquer de leadership dans leur travail. Si elles adoptent des comportements plus dominateurs, on leur reprochera d'outrepasser leur rôle et on les évaluera négativement. On retrouve chez Spencer et Podmore (in Loft 1992) et chez Lehman (1992) ce thème du comportement féminin à double tranchant. Lehman rappelle qu'au début des années 60 aux Etats-Unis, une des critiques majeures à l'encontre des femmes vise leur attitude consistant à donner la priorité à la famille et non au travail. On exige des femmes qui choisissent des carrières en entreprises qu'elles arrivent à changer l'image de la femme sensible et fragile. Elles doivent convaincre qu'elles peuvent se comporter comme des hommes dans leur travail.

La barrière est relative aux connaissances : des savoirs demeurent inaccessibles aux femmes.

Crompton et Sanderson (in Roberts et Coutts, 1992) mettent l'accent sur l'augmentation du nombre de femmes dans le monde professionnel durant les vingt dernières années. Selon eux, l'acquisition croissante de qualifications académiques (obtention du diplôme) par les femmes ne suffit pas forcément à changer les modèles de ségrégation existants. En réalité, la ségrégation verticale des professions est encouragée par la séparation entre les qualifications formelles et les qualifications dites "organisationnelles" (expérience, connaissance des informations et traditions informelles de l'entreprise, etc.). Crompton (1987) explicite cette dualité des savoirs en distinguant le savoir théorique, académique et le savoir du terrain, organisationnel. Ces deux types de connaissances sont nécessaires à la poursuite d'une carrière dans l'organisation. L'expérience ou le savoir-faire du terrain est la base la plus importante de l'autonomie individuelle, et la plus grande source de valeur ajoutée. Crompton et Sanderson (in Roberts et Coutts, 1992), avancent qu'on empêche les femmes d'acquérir ce savoir par des processus formels (reconnaissance de l'expérience, règles sur les qualifications académiques, etc.) et informels. Parmi les processus informels, Crompton cite par exemple l'exclusion des réseaux d'anciens, généralement très masculins, les clubs réservés aux hommes, les terrains de golf....

Spruill et Wootton (1995) et Hammond (trad. Pesqueux, 1998), reprennent cette idée de processus informels d'exclusion. Grâce à la méthodologie du récit de vie, elles parviennent à mettre en valeur d'une façon originale les discriminations rencontrées par deux femmes pionnières, l'une blanche, l'autre noire, toutes deux diplômées. Elles évoquent les difficultés qu'elles ont eu pour accéder au statut d'expert-comptable.

  1. Les femmes à travers le prisme de la comptabilité

Certains auteurs estiment que le développement de la comptabilité ne doit pas être considéré comme une construction autosuffisante de techniques. Ils voient dans les documents et pratiques comptables un reflet des usages sociaux et organisationnels. Selon eux, les documents comptables peuvent fournir des clés de compréhension de la place des femmes dans la société ou dans l'entreprise. Ces auteurs s'inscrivent donc dans des courants proches (P.E.A. et post-structuralisme, cf. analyses de documents), ce qui ne les amène pas pour autant aux mêmes analyses quant à l'origine des phénomènes de ségrégation (explications marxiste / patriarcale).

Burrell (1987) se penche sur les pratiques comptables à partir de documents historiques datant du XVème et du XVIIIème siècles. Selon lui, ces pratiques nous renseignent sur la réalité des rapports hommes/femmes. Sa thèse est que le développement de la comptabilité et la désexualisation des activités ont été de pair. Au XVème siècle, les travaux de Pacioli, moine franciscain, s'inscrivent dans une démarche de responsabilisation des individus. La Summa a été écrite dans un contexte où l'on voulait limiter et circonscrire la sexualité, en particulier dans les monastères. L'accent était alors mis sur le caractère civilisateur de l'auto-identification et de la conscience de soi. La partie double permet justement l'identification des personnes impliquées dans le processus comptable : les hommes et les femmes sont incités à se regarder eux-mêmes comme ils sont vus par les autres, comme dans un miroir.

Au XVIIIème siècle, un potier anglais (Wedgwood), parallèlement à des anomalies dans sa comptabilité générale, découvre des histoires d'alcôves entre son comptable et son contremaître. Avec la mise en place d'un nouveau système de coûts, il semble clair qu'il cherche à éradiquer toutes ces "dissipations", les détournements de fonds et la légèreté de ses employés étant associés selon lui au caractère non vertueux de l'ancien système de coûts.

Ces deux exemples permettent à Burrell d'établir dans les organisations un lien entre le déclin de la sexualité et le développement de la rationalité.

Tinker et Neimark (1987) mettent en évidence l'exploitation des femmes dans la société grâce à une analyse de rapports annuels de General Motors entre 1917 et 1976. L'article s'inscrit dans le champ de l'Economie Politique de la Comptabilité (P.E.A). Les rapports annuels ne sont pas des descriptions objectives de la réalité mais jouent un rôle actif dans la formation de l'idéologie sociale qui met à la mode ou légitime la place de la femme dans la société, que ce soit au travail, à la maison ou sur le marché de la consommation. Tels des armes idéologiques, les rapports annuels sont destinés à influencer la distribution de revenus et de richesses afin d'assurer une profitabilité et une croissance continues de l'entreprise. Tinker et Neimark se placent donc dans une perspective marxiste de compréhension du travail des femmes. Il existerait deux phénomènes majeurs conduisant à la subordination des femmes dans un contexte capitaliste : d'une part, les femmes jouent un rôle d'armée de réserve industrielle dans le processus de production, et permettent ainsi de créer un surplus de valeur ajoutée, d'autre part, pendant les périodes de surproduction et de sous-consommation, le capitalisme a inventé une idéologie de consumérisme, qui incite les femmes à absorber le surplus de valeur ajoutée et ainsi de résoudre ces crises.

Adams et Harte (1998) analysent l'emploi des femmes en étudiant les rapports annuels des plus grandes sociétés bancaires et entreprises de détail en Grande-Bretagne entre 1935 et 1993. En les mettant en perspective dans un contexte social, politique et économique plus large, les auteurs suggèrent que la position des femmes dans les secteurs du commerce de détail et de la banque peut être partiellement expliquée par la perpétuation d'attitudes patriarcales de la part du management. Adams et Harte s'inscrivent dans le courant post-structuraliste. La comptabilité, selon eux, est un langage qui peut être utilisé pour légitimer l'action de l'entreprise, et ce qui n'est pas dit peut s'avérer aussi important que ce qui est dit. Ainsi, ils illustrent comment les rapports et les "non-rapports" renferment une histoire de la nature de l'emploi des femmes, laquelle reconnaît les influences du capitalisme et surtout du patriarcat.

  1. Culture et sexisme

Le thème des femmes, surtout aux Etats-Unis, a été souvent traité dans une approche plus globale qui est celle des minorités.

Les articles que nous avons classés dans ce thème suivent des approches radicalement différentes. Par exemple, alors que Mynatt et al. (1997) cherchent à expliquer les caractéristiques de la main d'œuvre américaine dans les cabinets comptables, Hammond (1997 et 1998) identifie et dénonce les pratiques discriminatoires à l'encontre des femmes et des minorités.

Morrison et Von Glinow (in Hull et Umansky, 1997) et Mynatt et al. (1997) appuient leur analyse sur l'étude des traits de personnalité. La théorie centrée sur l'individu (person-centered-theory) de Morrison et Von Glinow explique la rare présence des femmes à des positions de top management par leur personnalité ou/et par des modèles de comportement qui les rendent moins adaptées que les hommes à des rôles de leadership. Mynatt et al. (1997) proposent une analyse quantitative du lien entre l'origine (anglo-saxonne ou hispanique), le sexe, la personnalité, la position hiérarchique et la satisfaction au travail des auditeurs et leur intention de quitter leur emploi. Ils obtiennent les résultats suivants :

Hammond (1997) propose une critique assassine de cet article. La position méthodologique, la position épistémologique et la validité des résultats obtenus sont toutes passées au crible.

Elle critique notamment leur passage sous silence des différences au sein des groupes (on ne peut pas mélanger un Mexicain aux USA depuis 50 ans, et un Cubain arrivé il y a dix ans), et des intersections entre les groupes (ils n'explorent pas les différences entre une anglo-saxonne et une hispanique). Face à l'étude quantitative libérale de Mynatt et al. (1997), Hammond (trad. Pesqueux, 1998) propose un récit de vie mettant en valeur les discriminations subies par une des premières femmes noires experts-comptables. Selon elle, les femmes de couleur subissent une exploitation sur la base de leur sexe et une autre sur la base de leur couleur. La recherche sur les femmes et la comptabilité doit se rappeler que lorsque les femmes gagnent du terrain dans les professions traditionnellement masculines, c'est souvent grâce au concours des femmes d'autres races et d'autres classes qui, par exemple, gardent leurs enfants (Hammond et Oakes, 1992). " Si les structures de pensée féministes ne prennent pas en compte l'expérience des femmes de couleur, alors, elles ne sont pas seulement incomplètes ; elles sont aussi partiales d'un point de vue racial. " (Jagger et Rothenberg, in Hammond, 1995).

    1. Les rôles du chercheur

Le caractère politique du thème " femmes et comptabilité " amène les auteurs à s'interroger sur le rôle du chercheur. Leurs positions sur ce point sont souvent plus explicites quand ils entreprennent de critiquer une autre recherche.

A la lumière des différents articles, un continuum des rôles du chercheur en gestion se dessine. A un extrême, le chercheur contribue à améliorer l'efficacité de l'entreprise. Indirectement, il est susceptible de conforter la place de la femme dans la profession comptable (cf. Bernardi, 1998). A l'autre extrême, le chercheur privilégie la défense des intérêts des minorités (cf. Hammond, 1997). Il va par exemple dénoncer les discriminations subies par les femmes dans la profession comptable. La connotation politique de son approche entraîne alors la question suivante : s'agit-il avant tout d'un chercheur ou d'un(e) féministe ?

A partir des résultats de son enquête, Bernardi (1998) préconise une stratégie de recrutement aux cabinets comptables. Il estime qu'il est inutile pour les cabinets d'experts-comptables d'investir dans le recrutement des femmes qui privilégient leur vie familiale. Le congé parental les déconnecte de leur profession. Littéralement, les grands cabinets comptables ont intérêt à "mettre une croix" sur ces femmes. Il est plus rentable pour eux d'investir sur les femmes favorables à une vie duale (54 %) et, bien sûr, à une vie centrée sur la carrière (5 %).

Implicitement, Bernardi, en tant que chercheur en sciences de gestion, souhaite fournir aux dirigeants les informations qui optimiseront leur prise de décisions. Pillsbury et al. (1989) mentionnent explicitement ce rôle : " Le but de cet article est de fournir une synthèse [...] qui permettrait d'aider les cabinets comptables et la profession en général à comprendre le rapport de l'AICPA et à initier les changements nécessaires. "

Mynatt et al. (1997) ont cherché à savoir à travers leur enquête ce qui décourage les hispaniques et les femmes à poursuivre une carrière en comptabilité. Dans ce type d'étude, il semble que le rôle du chercheur soit de donner une description objective et la plus fidèle possible de la réalité. Mynatt et al. considèrent la réalité comme la normalité. Ils postulent implicitement que les hispaniques ont une chance de devenir Type A, comme les anglo-saxons, c'est à dire le groupe dit "normal".

Hooks (1998) identifie les dangers inhérents à l'étude de Bernardi (1998). Ils résident dans une exploitation abusive des résultats par les preneurs de décisions des milieux professionnels (par exemple, les recruteurs). Ces derniers doivent être bien conscients que les résultats d'une recherche sur les perceptions n'a pas forcément une valeur prédictive des comportements. Ce n'est pas parce qu'une femme déclare qu'elle prendra un congé parental de longue durée qu'elle le fera effectivement. De plus, l'étude de Bernardi suggère que les femmes quittent la comptabilité libérale car elles acceptent logiquement le contrat social qui les rend financièrement dépendantes de leurs maris. Cette vision met de côté l'évolution de la société et notamment les taux de divorce de plus en plus importants. Le chercheur a une responsabilité qui consiste à prendre toutes les précautions pour que sa recherche soit correctement interprétée.

Mynatt et al. (1997) et Bernardi (1998) sont vivement critiqués pour leur non-dénonciation des discriminations à l'encontre des femmes. Selon Hammond (1997), Mynatt et al. n'ont pas la motivation appropriée pour ce type de recherche. Elle leur reproche avant tout de prendre la réalité comme un état de fait sans chercher à dénoncer les pratiques discriminatoires.

Les conclusions de l'enquête de Bernardi vont même jusqu'à renforcer ces pratiques. Pour Ciancanelli (1998), ces travaux nourrissent le processus de discrimination à l'encontre des femmes.

Roberts et Coutts (1992) et Burrell (1987) affirment que le travail du chercheur doit contribuer à éliminer les discriminations à l'encontre des femmes. Leur objectif est le même mais les moyens de l'atteindre sont différents. Pour Roberts et Coutts, "la recherche doit viser à identifier les processus de division hommes / femmes, nous devons savoir comment les femmes sont marginalisées et avec quelle efficacité si l'on souhaite avoir une chance de contrer ces stratégies [de discrimination]". Burrell va plus loin en avançant que pour libérer les opprimés dans l'organisation, on doit d'abord se libérer soi-même et peut-être même s'affranchir de sa propre discipline.

A ce stade, peut-on encore parler de recherche en gestion ? Pour les féministes, un travail de recherche sur les femmes et la comptabilité est d'abord un instrument au service de leurs causes. Leur priorité n'est peut-être pas de faire un travail de recherche irréprochable (généralisation, reproductibilité) mais plus de défendre un point de vue politique.

CONCLUSION

Au regard des différentes théories féministes et des thèmes identifiés dans cette revue, qu'en est-il de la place de la femme dans la profession comptable aujourd'hui ?

Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans la profession comptable. En France, alors qu'elles représentaient 12 % des experts-comptables en 1990, elles en représentent 13 % en 1998. Si l'on ajoute les experts-comptables stagiaires, l'augmentation du nombre de femmes est encore plus net : elles représentent 19 % de la profession. Aux Etats-Unis, le nombre de femmes comptables diplômées est passé de 28 % à 50 % entre 1977 et 1992. En Grande-Bretagne, l'entrée des femmes dans la profession est récente ce qui implique une majorité de femmes jeunes (en 1987, 82 % des femmes comptables en Grande-Bretagne avaient moins de 36 ans, contre 35 % des hommes comptables). Cela contribue à expliquer la sur-représentation des femmes dans les niveaux les plus bas de la hiérarchie (phénomène de pipeline). Cependant, ce phénomène mécanique ne suffit pas à expliquer la double ségrégation à laquelle les femmes sont encore confrontées (Roberts et Coutts, 1992).

Elles subissent une pression qui les dissuade d'enrichir leurs diplômes et qualifications. Cette pression vient directement de l'entourage (parents, maris, conseillers en ressources humaines, etc.) et indirectement des contraintes domestiques à assumer qui les privent du temps et de l'argent nécessaires à la prolongation des études. Cette pression peut expliquer certains choix professionnels des femmes. Silverstone (in Roberts et Coutts, 1992) précise que les femmes se spécialisent dans les domaines de taxation et d'imposition plutôt que dans l'audit qui exige de nombreux déplacements. Crompton et Sanderson (in Roberts et Coutts, 1992) notent que les femmes comptables exercent de plus en plus en entreprises et quittent le milieu libéral.

Des phénomènes échappent à l'explication du pipeline, en particulier l'existence d'un " plafond de verre " (glass ceiling). En Grande-Bretagne, dans la tranche d'âge inférieure à 36 ans, 14 % des hommes et seulement 7 % des femmes sont des associés. Dans la tranche 36-45 ans, 34 % des hommes sont associés contre 25 % des femmes (Ciancannelli et al., in Roberts et Coutts, 1992). En France, les femmes sont également moins représentées dans les plus hauts échelons de la hiérarchie des cabinets comptables. Elles représentent 50 % des assistants débutants mais seulement un tiers des directeurs de missions.

La féminisation de la profession comptable peut être vue comme un engrenage vers une dévalorisation de la profession (point de vue patriarcal). Elle peut aussi être considérée, selon un point de vue marxiste, comme un élément positif pour le capital qui profite des ressources intellectuelles des femmes. A partir des années 90, un changement peut émerger dans la manière d'utiliser la main d'œuvre féminine. Le départ en retraite des enfants du baby-boom peut entraîner une rareté de la main d'œuvre sur le marché du travail. Si cette rareté est assez conséquente pour affecter la croissance de la profession comptable, celle-ci pourrait, afin de protéger son statut global de profession, intégrer davantage les femmes sur une base égalitaire par rapport aux hommes.

Ce bilan de la profession comptable fait référence au féminisme patriarcal et au féminisme marxiste. Nous pouvons faire appel au féminisme post-structuraliste pour analyser la recherche sur la place des femmes dans la comptabilité en France.

Palen (in Spruill et Wootton, 1995), une des premières femmes experts-comptables disait que "ce qui est mesuré et révélé est aussi important que ce qui ne l'est pas". Elle portait une attention toute particulière au sens des mots et à leur utilisation. Le vocabulaire anglo-saxon comporte des finesses qui manquent à la langue française. Lehman (1992) rappelle ainsi la distinction à faire entre "gender" et "sex". Le sexe est la détermination biologique du corps de l'individu, alors que "gender" désigne son identité sociale d'homme ou de femme. Il est le terme clé utilisé dans toutes les problématiques féministes et couvre des acceptions multiples (relations hommes / femmes, divisions hommes / femmes, etc.). En français, le terme " genre " ne recouvre pas ces acceptions. L'absence d'un équivalent français va de pair avec la faible présence du thème dans la recherche en comptabilité. Le développement du thème en France présupposerait peut-être la création d'un consensus par les chercheurs en comptabilité autour d'un vocabulaire approprié. Dans une perspective post-structuraliste, ce développement d'un langage commun constitue une étape essentielle vers la fin de la domination masculine.

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Trapp M. W., Hermanson R.H., Turner D.H. (1989), " Current Perceptions of Issues Related to Women Employed in Public Accounting ", Accounting Horizons, March, pp. 71- 85.

 

ANNEXE 1 : Analyse des revues de la littérature

Un groupe de revues de la littérature propose un panorama des théories féministes (Hammond et Oakes (1992), Tinker et Neimark (1987) et Lehman (1992)). Elles ont permis de construire la première partie de cet article. Roberts et Coutts (1992) commencent par balayer les théories féministes puis centrent leur revue de la littérature sur le problème des diverses segmentations (verticale et horizontale) de la profession comptable défavorables aux femmes. Un autre groupe est formé par les revues centrées sur un point théorique précis : Gallhofer (1998) propose une revue de la littérature centrée sur la critique du féminisme libéral. Crompton (1987) critique les positions féministes marxistes, en réponse à l'article de Tinker et Neimark. Kirkham (1992) cherche à intégrer le thème de la division hommes / femmes dans une réflexion sur le développement de la profession comptable. Loft (1992) se concentre sur la structuration de la profession comptable et son traitement dans la littérature.

Les différents types de revues de la littérature peuvent ainsi être positionnés sur un continuum. Il distingue les revues qui donnent un panorama des théories féministes de celles qui ciblent leur présentation sur un point théorique précis.

Schéma 1 : Continuum des revues de la littérature

 

ANNEXE 2 : Détail des dispositifs de recherche

1/ Enquêtes

Barker et Monks (1998) ont procédé de la manière suivante pour étudier la progression de carrière des hommes et des femmes experts-comptables en République d'Irlande. Un entretien de groupe a été réalisé en phase préliminaire. Ensuite, un questionnaire a été envoyé à 358 membres de l'ICAI, diplômés en 1980. Ce fut la première année où le nombre de femmes recrutées permettait de réaliser une étude significative sur leur évolution de carrière. Le taux de réponse a été de 58%. L'enquête s'est poursuivie par vingt entretiens auprès de femmes experts-comptables.

Bernardi (1998) aborde les effets des préférences de choix de vie sur les carrières des femmes experts-comptables. L'enquête, présentée comme exploratoire, a été faite à partir de 350 questionnaires envoyés à de jeunes recrutés (hommes et femmes) au sein de neuf unités rattachées à deux des anciens "Big Six". Sur ces 350 questionnaires, 253 jeunes recrutés (133 hommes et 120 femmes) ayant commencé leur formation depuis au plus un mois ont répondu.

Mynatt et al. (1997) enquêtent sur les liens entre le profil d'un individu (origine ethnique, sexe, personnalité, ...) et sa satisfaction au travail. Les auteurs s'appuient sur une étude de Dillard et Ferris qui ont proposé un modèle dans lequel ils conçoivent le travail individuel comme fonction de variables démographiques et physiologiques, de variables environnementales et organisationnelles et de variables cognitives et psychologiques. Ils ont formulé 8 hypothèses dont trois portent sur la fonction d'auditeur, deux sur l'origine ethnique, et trois sur le sexe. Trois questionnaires du type échelle de Likert ont été utilisés. Les questionnaires ont été envoyés dans des régions américaines à forte présence hispanique. Le taux de réponse a été de 33%. Les résultats ont été classés par sexe, origine, et position hiérarchique. Un outil statistique, la "path analysis" d'Asher, estimant la magnitude des liens entre les variables, a été utilisé pour identifier des liens de cause à effet.

Hull et Umansky (1997) analysent l'influence du sexe sur l'efficacité perçue d'un manager.

Ils ont envoyé, via Internet, leur document d'enquête à 3037 associés et managers (autant d'hommes que de femmes) de neuf grands cabinets comptables américains. Ce document d'enquête se compose de cinq cas et s'achève par quelques questions sur l'identité de l'enquêté. Chacun des cas présente brièvement un manager de cabinet d'audit. On demande aux enquêtés d'évaluer "l'efficacité" de chaque manager en lui attribuant une note de 1 à 7. Deux versions de cas sont envoyées. L'objectif est de mettre en valeur l'influence du sexe du manager évalué dans la notation qu'on lui attribue. Les enquêtés ne connaissent pas l'objectif réel de l'étude. Notamment, le sexe des managers n'apparaît pas autrement que par leur prénom.

Trapp et al. (1989) visent à analyser comment les experts-comptables perçoivent la place des femmes dans leur profession. Une enquête nationale est adressée par Internet à un échantillon aléatoire de 800 experts- comptables (400 hommes, 400 femmes). Le questionnaire aborde les points suivants : perception des opportunités et des rémunérations accordées aux femmes, perception de l'acceptation des femmes et de leur implication professionnelle, perception des arrangements matériels offerts aux femmes, perception des raisons pour lesquelles les femmes quittent la profession libérale. Les réponses à chacune des questions font l'objet d'un positionnement sur une échelle de Likert.

2/ Récits de vie

Hammond (in trad. Pesqueux, 1998) propose, en ayant recours à l'interview, le récit de vie de Theodora Rutherford, une des premières femmes noires comptables de l'Etat de Virginie.

Spruill et Wootton (1995), à la différence de Hammond (in trad. Pesqueux, 1998), n'interviewent pas le sujet de leur étude (Jennie Palen, une des premières femmes comptables américaines), mais font le récit de sa vie. Ils analysent les poèmes, articles, livres écrits par Palen, ce qui place leur méthodologie à l'intersection du récit de vie et de l'analyse de documents.

3/ Analyses documentaires

L'étude de Pillsbury et al. (1989) s'inscrit dans cette catégorie. Partant de la volonté d'éclairer un rapport de l'AICPA sur la promotion des femmes dans la profession comptable, elle étaye chacune des rubriques abordées (turnover, implication, etc,) par des références à des revues essentiellement professionnelles.

Lehman (1992) fait une étude sur la place des femmes anglo-saxonnes (Grande-Bretagne et Etats-Unis) dans la profession comptable depuis l'industrialisation (1870). Thane (1992) étudie la division hommes / femmes dans le travail en Grande-Bretagne et la relie à l'histoire des professions en général. Bien que le périmètre de son étude diffère de celui adopté par Lehman, des approches et points de vue similaires entre les deux recherches peuvent être soulignés. Après avoir proposé toutes deux une revue de la littérature autour des théories féministes, les deux études, historiques, s'apparentent à une analyse de documents. Parmi ces documents, les auteurs exploitent par exemple des revues professionnelles d'époque (numéros de The Accountant datant de 1913 à 1918 pour Lehman) et des textes d'organes politiques (Sessional Papers de la chambre des Lords pour Thane).

Tinker et Neimark (1987) traitent de l'exploitation féminine à travers l'analyse des rapports annuels de General Motors entre 1917 et 1976.

Adams et Harte (1998) font un choix méthodologique similaire. Ils présentent une étude longitudinale de la nature et de l'importance des publications des sociétés (les rapports annuels), à la lumière du contexte politique, mais aussi social et économique.

La position de Burrell (1987) est originale. Afin de compléter le travail de Tinker et Neimark (1987), il cherche à étudier le lien entre la comptabilité et les relations hommes-femmes dans le contexte de l'organisation. N'ayant pu trouvé aucune littérature portant spécifiquement sur le sujet, l'auteur a dû chercher des éléments dans d'autres champs de connaissance que l'histoire de la comptabilité. Ce qui est présenté dans son étude est "une mosaïque de détails et une petite documentation historique permettant de discerner une image globale des "thèmes et des agents" impliqués dans le développement de la comptabilité.".